Epic vs. Apple : que s’est-il passé et quelles conséquences pour les développeur(se)s

App News

octobre 13, 2022

En août 2020, Epic a intenté une action en justice contre Apple après que ces derniers aient retiré Fortnite (le jeu principal d’Epic) de l’App Store. 9 mois plus tard, en mai 2021, le procès a démarré à Oakland en Californie, surveillé de près par les professionnels du secteur.

Parce qu’Epic s’en prenait aux comportements anti-concurrentiels et déloyaux d’Apple, ce procès était sûr de faire bouger les choses sur le marché des apps. Peu importe le verdict, les accusations d’Epic ont attiré l’attention sur les dérives des règles d’Apple concernant les paiements in-app et leur commission de 30% souvent remise en question.

Pourquoi Epic a poursuivi Apple en justice

L’App Store d’Apple interdit aux développeur.se.s de renvoyer leurs utilisateur.ice.s vers un système de paiement externe pour les achats réalisés dans l’application. Même si, récemment, plusieurs instances gouvernementales autour du monde ont commencé à remettre en question cette interdiction, les développeur.se.s ne sont même pas autorisé.e.s à mentionner un autre moyen de paiement dans leur application.

Epic a décidé de contourner cette règle et d’implanter un autre système de paiement dans la version iOS de leur jeu Fortnite, un jeu de battle royale très populaire.

Quand Apple a répondu à cette action en retirant Fortnite de l’App Store pour non-respect des règles, Epic a riposté avec une action en justice.

Photo by Joshua Hoehne on Unsplash

L’action en justice d’Epic repose sur 10 charges différentes

  1. Maintien d’un monopole illégal sur le marché de distribution des applications iOS (Sherman Act § 2)
  2. Déni d’accès à un équipement essentiel du marché de distribution des applications iOS (Sherman Act § 2)
  3. Restriction excessive de commerce sur le marché de distribution des applications iOS (Sherman Act § 1)
  4. Maintien d’un monopole illégal sur le marché des systèmes de paiements internes aux applications iOS (Sherman Act § 2)
  5. Restriction excessive de commerce sur le marché des systèmes de paiements internes aux applications iOS (Sherman Act § 1)
  6. Rattachement de l’App Store dans le marché de distribution des applications iOS aux achats in-app dans le marché des systèmes de paiements internes aux applications iOS (Sherman Act § 1)
  7. Restriction excessive de commerce sur le marché de distribution des applications iOS (California Cartwright Act)
  8. Restriction excessive de commerce sur le marché des systèmes de paiements internes aux applications iOS (California Cartwright Act)
  9. Rattachement de l’App Store dans le marché de distribution des applications iOS aux achats in-app dans le marché des systèmes de paiements internes aux applications iOS (California Cartwright Act)
  10. California Unfair Competition Law (la loi californienne de lutte contre les pratiques anti-compétitives)

Quel est le verdict

Le verdict est tombé le 10 septembre, signant une victoire d’Apple sur la plupart des points abordés. Epic a donc dû payer des frais de rupture de contrat, notamment la commission de 30% de tous les bénéfices récoltés en paiement direct depuis la version iOS de Fortnite (soit environ 6 millions de dollars).

Cependant, malgré une victoire d’Apple, la juge a délivré une injonction permanente annonçant qu’Apple ne serait plus autorisé à interdire aux développeur.se.s “(i) d’inclure des boutons, des liens externes ou des call to action dirigeant leurs usager.e.s vers des systèmes d’achats en plus des achats in-app dans leurs applications et métadonnées ou (ii) de communiquer avec leurs usager.e.s via des points de contact obtenus volontairement à travers la création de compte dans l’application”.

Apple a décrit le verdict comme une victoire retentissante. Bien qu’il ait été prouvé que les jeux représentent 70% des recettes de l’App Store, Apple n’est pas considéré comme un monopole.

De l’autre côté, Tim Sweeney, le PDG d’Epic, considère ce verdict comme une perte pour les développeur.se.s et les consommateur.ice.s.

Il ajoute que Fortnite ne reviendra sur l’App Store que “quand Epic pourra offrir des paiements in-app compétitifs avec ceux d’Apple, permettant aux consommateur.ice.s d’économiser” et qu’il continuerait à se battre pour une concurrence loyale. Epic a demandé à Apple d’autoriser le retour de Fortnite sur l’App Store sud-coréen après qu’une loi ait été adoptée dans le pays interdisant à Apple et Google de forcer les développeur.se.s à utiliser leur outil de paiement in-app. Cependant, Apple a refusé la demande

Sur une note plus humoristique, le verdict a aussi déclaré officiellement que le personnage Peely de Fortnite était bel et bien autorisé à apparaître nu au tribunal.

Peely the banana ⎮ source: The Verge

Quelles conséquences pour les développeur.se.s ?

L’injonction devra être appliquée sous 90 jours (la date limite étant le 9 décembre 2021). Quand cela sera fait, les développeur.se.s pourront ajouter des boutons, des liens externes ou des call-to-action pour rediriger leurs utilisateur.ice.s vers d’autres moyens de paiement (comme leur site internet par exemple).

Ils pourront aussi communiquer directement avec eux sur le sujet, notamment par mail. S’ils réussissent à amener leurs usager.e.s sur leur propre système de paiement, ils pourraient éviter la commission de 30% d’Apple. 

Cependant, les utilisateur.ice.s devront quitter l’application pour compléter leur achat et renseigner leurs informations personnelles avant de retourner sur l’application. Cela peut rendre le processus d’achat plus fastidieux que les achats in-app d’Apple. 

Les utilisateur.ice.s veulent un processus de paiement simple, ils peuvent être persuadés de faire suffisamment d’effort pour compléter leur achat si on leur donne des raisons suffisantes (comme une réduction). 

La majorité des recettes de l’App Store proviennent des jeux, et ceux-ci jouent fortement sur l’attrait des microtransactions. Si vous décidez d’implémenter un système de paiement externe pour éviter la commission d’Apple, assurez-vous de simplifier et fluidifier le processus au maximum.

Photo by Laurenz Heymann on Unsplash

Apple vont-ils vraiment jouer le jeu ?

Apple n’a pas encore communiqué sur comment ils comptaient implémenter la décision du tribunal. Ils devront sûrement réécrire en partie leurs conditions d’utilisation. Ils ont aussi la possibilité de décourager l’utilisation de paiements extérieurs en créant des règles très strictes autour de cette pratique. Apple devra revoir le fonctionnement de ses paiements in-app pour respecter l’injonction, mais la formulation leur laisse assez de liberté pour choisir leur approche

Par exemple, ils pourraient obliger les développeur.se.s à proposer le système de paiement in-app d’Apple à côté du leur. 

De plus, Apple pourrait tout aussi bien imposer sa taxe de 30% sur les paiements externes. Un rapport de Bloomberg montre qu’Apple pourrait légalement demander à collecter une taxe de 30% des recettes des applications qu’il héberge, peu importe la source. Proposer un système de paiement externe n’empêcherait peut-être pas les développeur.se.s de payer la commission d’Apple. 

Durant le procès contre Epic, Tim Cook a affirmé que s’ils ne pouvaient pas compter sur le système de paiements in-app pour collecter leur commission, ils devraient “trouver un autre système pour facturer les développeur.se.s”. Avec ou sans injonction du tribunal, Apple n’est pas prêt de laisser sa commission lui glisser entre les doigts. 

Et maintenant ?

Même si Epic a déjà fait appel, ce qui signifie que le procès n’est pas terminé, ce n’était pas le seul procès en cours. Epic poursuit aussi Google en justice sur le même sujet, et ce procès-là n’a pas encore commencé. 

 La Commission de concurrence indienne a elle aussi entamé des poursuites judiciaires à l’encontre d’Apple à cause de leur commission in-app, tout comme Spotify l’a fait dans l’Union Européenne. Dans le cas de Spotify, la commission européenne a déjà publié un rapport préliminaire en avril accusant Apple d’abus de position dominante.

Interrogé par 9to5mac à propos du verdict d’Epic, Spotify a annoncé être satisfait de l’interdiction imposée à Apple concernant les paiements in-app qui, selon eux, montre qu’il y a “un besoin et un mouvement global poussant la législation à répondre à ces pratiques déloyales, conçues pour faire du tort à la concurrence et aux consommateur.ice.s”.

La Coalition for App Fairness, qui compte à la fois Spotify et Epic parmi ses membres fondateurs, a affirmé que le procès d’Epic avait servi de rampe de lancement aux législateurs, nourrissant une demande globale de régulation du pouvoir d’Apple (et de Google) sur le marché des applications.

Pour une entreprise qui se targue d’être toujours à la pointe de l’innovation et d’avoir une longueur d’avance, Apple était visiblement à la traîne sur ce sujet. Leur refus de challenger leur position de pouvoir les mène à devoir constamment s’adapter aux dernières lois. Ils deviennent victimes des changements qui leur sont appliqués au lieu de les anticiper et de mener la danse. 

Le verdict du procès d’Epic n’a surpris personne. Même si Epic a perdu sur la plupart des points abordés et n’a pas pu prouver la position monopolistique d’Apple, ils ont tout de même porté un coup à la firme de Cupertino. Alors que la position de pouvoir d’Apple continue d’être critiquée et challengée par les gouvernements internationaux, c’est un autre frein à leur App Store. 

Pendant longtemps, Apple n’a pas eu besoin de se remettre en question. Ils détenaient assez de pouvoir et de contrôle sur les développeur.se.s. Mais avec de grands noms comme Epic et Spotify qui les challenge publiquement (à la fois aux Etats-Unis et dans l’Union Européenne) et des pays comme la Corée du Sud qui s’attachent à limiter leur pouvoir, le temps est venu de repenser le modèle de l’App Store.

Qu’avez-vous pensé du verdict ? Apple deviendra-t-il proactif dans l’implantation de changements dans l’App Store ? Dites-le nous en commentaires !

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